Tom Rowlands et Ed Simons sont comme des frères, et à force de se connaître depuis "toujours", cela va faire trente ans qu'ils font danser les gens ensemble, et vingt-cinq ans depuis depuis qu'ils ont sorti le premier EP de The Chemical Brothers. Ils sont un modèle de stabilité : aucun break, aucun split et une production de nouveaux disques avec une régularité déconcertante. Et pourtant, ils continuent à innover et à surprendre. Avec No Geography, leur neuvième album, ils livrent un de leurs meilleurs disques, et certainement leur plus beau.
Dès le premier contact, nous comprenons que ce n'est pas un album pour rigoler. La pochette montre un char d'assaut sur une autoroute et le morceau d'ouverture s'appelle tout simplement Eve Of Destruction. Appliquant leur technique du sampling au graphisme, l'image est empruntée au livret de Consequences, un album sorti en 1977 par Godley & Creme, un duo de Manchester, ex-membres de 10cc et pionniers du vidéo clip dans les années 80.
Le début de l'album s'enchaîne comme un DJ set qui raconterait une histoire ou, plus grandiose, comme un opéra apocalyptique. Nous savions que les Chemical Brothers maniaient parfaitement les rythmiques hypnotisantes, sur cette ouverture ce sont tous les éléments qui contribuent à l'envoûtement. Aurora (chanteuse norvégienne) et Nene (rappeuse Japonaise) ont pris une part active à l'écriture de leurs morceaux, et ne se sont pas contenté de poser un chant pour être samplées. Les autres parties instrumentales évoluent comme des êtres vivants. Le duo dépasse l'exercice de style, merveilleusement réalisé, et il y a sur ce disque une sensibilité artistique qui montre, si besoin en était, que la musique électronique peut être un art sensible et poétique.
Quant au morceau titre, No Geography, c'est un poème de Michael Brownstein sur l'amour à longue distance et comment il peut survivre aux séparations géographiques. C'est une métaphore explicite sur le Brexit, la pire blague politique des temps modernes, que les britanniques qualifient de B-word, comme Fuck est le F-word.
On sent l'appel du live sur cet album. Ed Simmons a passé une année sans partir en tournée (il était remplacé sur scène par Adam Smith qui gère d'habitude la partie visuelle de leurs shows), et cela l'a aidé à redécouvrir l'intensité de la scène. Plusieurs titres ont été joués en concert avant de finir l'enregistrement et on retrouve sur ce disque l'intensité d'un set : cet étrange sentiment entre précision et lâcher-prise. De quoi avoir hâte de les revoir sur scène.
